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samedi 23 mars 2013

Louanges au génie de Jean-Pierre Alarcen (sans pour autant faire fi de Bach)













Si le nom de Jean-Pierre Alarcen fera dire dans le meilleur des cas au béotien de bonne volonté « Ah bin s’appeler « à larsen » quand on joue de la guitare, hin hin », il évoquera très certainement en revanche aux plus pointus un univers aventureux, aux multiples ramifications dont chacune mène à quelques-unes des plus belles expériences musicales tentées en France ces quarante dernières années.

Mon premier souvenir de Jean-Pierre Alarcen remonte au milieu des années 90, époque à laquelle il fit une apparition dans l’émission télévisée « Taratata » qui me laissa pantois, accompagnant le chanteur ougandais Geoffrey Oryema. Les deux se produisaient simplement en duo, Oryema à la guitare acoustique et chantant – magnifiquement –, avec Alarcen le soutenant d’un riff lancinant et hypnotique, puis envoyant un chorus foudroyant. Concentré avec une manifeste intensité sur son instrument, Alarcen considérait celui-ci avec un sourire paisible évoquant la tranquillité experte de l’artisan en pleine création, maître de son art, sûr de sa force. Cette impression marquante se trouva corroborer le souvenir qu’avait laissé le bonhomme à mon père à l’occasion d’une discussion après un concert au Mans de François Béranger dans la seconde moitié des seventies. Pas bégueule, Alarcen avait alors pris quelques minutes après le show pour échanger quelques mots, présenter sa guitare et son matériel, en expliquer le fonctionnement, avec générosité et passion.

Générosité et passion : deux mots qui justement pourraient assez bien décrire le travail de Jean-Pierre Alarcen. Son parcours artistique est marqué par une démarche qui concilie discrétion, exigence et volonté d’indépendance, l’éloignant des sentiers battus du show-business mais lui garantissant une crédibilité irréprochable.

François Béranger, qui fut l’un de ses compagnons de route pendant cinq ans, a écrit dans son autobiographie : "Jean-Pierre Alarcen est un guitariste génial. J'emploie le terme à dessein. Un vrai musicien, à la technique sûre et variée, qui sait rester à l'écoute de la chanson. Alarcen vint, avec sa guitare, son talent, sa gentillesse et son humour. Il vint aussi avec sa sono et son camion..., apports techniques inestimables que nos moyens financiers à l'époque nous interdisaient. [...] Quand j'ai connu Alarcen, son intention était d'arrêter le métier. Ses expériences passées, déjà nombreuses, l'avaient dégoûté du showbiz. Son projet était... de faire des livraisons avec son camion (reliquat avec la sono, d'un groupe qui n'avait pas marché). C'était un pur et dur - il l'est resté - résolu à ne pas transiger avec l'idée qu'il avait de la musique. Cette intransigeance explique en partie qu'il n'a pas fait la carrière qu'il aurait pu faire." (1)

Après de premières expériences en groupe avec les Murator’s puis les Guitares du Dimanche (qui gravent un album de covers instrumentales de tubes à la mode), Alarcen intègre en 1966 la formation Les Mod’s, au sein de laquelle on trouve au poste de claviériste un certain Alain Legovic (plus connu sous le nom de Alain Chamfort). Les Mod’s publient quelques 45 tours plutôt intéressants, entre R&B, soul et rock. C’est à cette époque (fin de l’été 1966) qu’Alarcen, toujours avec Alain Legovic, devient l’un des accompagnateurs de Jacques Dutronc, côtoyant des musiciens tels que le batteur Michel Pelay le guitariste Gérard Kawczynski ou le bassiste Christian Padovan (ces deux derniers étant issus des Challengers, deux EP au compteur). La collaboration d’Alarcen avec Dutronc prendra fin à la mi-1968, à l’occasion d’une brouille entre ce dernier et Legovic qui projette de se lancer en solo. Legovic emmène avec lui Alarcen, qui apparait sur les quatre titres de son premier EP.

Avec Kawczynski, Pelay, Padovan et Legovic, Alarcen forme à cette époque le Système Crapoutchik, nommé d’après le surnom donné par Dutronc à Gérard Kawczynski, dont il n’arrivait pas à prononcer correctement le patronyme (2). Le Système Crapoutchik, s’il constitue un pendant français ultra-crédible aux grands noms de la pop britannique, en même temps qu’une alternative à toute la désolante production discographique yé-yé et variétoche (3), n’aura pourtant jamais la reconnaissance qu’il mérite, ses disques connaissant un insuccès commercial crasse. Et cela en dépit d’immenses qualités (finesse mélodique, instrumentations compétentes, harmonies vocales au cordeau et arrangements du meilleur goût), ceci expliquant très certainement cela – nous sommes en France (4). Produit par Claude Puterflam, directeur artistique chez Vogue, le Système Crapoutchik publie deux EP et un simple sur ce label, avant de sortir son premier LP sur Flamophone, nouvelle écurie fraîchement fondée par Puterflam. Cet album, « Aussi Loin Que Je Me Souvienne », publié en 1969, représente rien moins que le tout premier concept-album à paraître en France, ce qui – convenons-en – n’est pas rien (5). Sur des textes élégants et sensibles (parfois à la limite du cul-cul le pralin il faut bien le concéder) de la plume de Claude Puterflam (devenu le chanteur du groupe), le Système Crapoutchik  propose donc une suite de compositions qui décrivent de façon allégorique la vie d’un homme de la naissance de la mort, avec des moments poignants comme le morceau-titre en ouverture (composition d’Alarcen, dominée par l’orgue quasi-liturgique de Legovic) ou l’émouvant « Quand Je Serai Grand ». L’album, ainsi que les trois simples qui le suivent, connaîtront un tel échec commercial que le groupe se séparera fin 1970 dans l’indifférence du public. Non sans une ironie pour le moins mordante, Flamophone publiera malgré tout un double album judicieusement intitulé « Flop », avec une pochette ornée de la peinture d’un naufrage et d’un faire-part, « Vous êtes priés d'écouter le dernier disque du Système Crapoutchik, disparu corps et biens par un jour d'orage au cours de l'année 1971 en sa maison de disques parisienne. » Cette collection, assemblée avec goût puisqu’elle permet de retrouver les 45 tours du groupe ainsi que des inédits, offre de significatifs exemples de la patte caractéristique d’Alarcen, au travers de quelques-unes de ses compositions comme « L’Enfant de Chœur », ou de superbes parties de six-cordes (« Au Clair de L’Une Ou Dans l’Ombre de L’Autre »). Enfin, le morceau-titre « Flop » annonce une formule sonore qu’Alarcen développera plus avant dans ses travaux futurs, avec un son de guitare particulier, à la fois clair et puissant.

Entre temps, Jean-Pierre Alarcen, dans le cadre de séances pour Vogue, était entré en contact avec les musiciens d’un groupe marseillais nommé Eden Rose, montés à Paris dans le but d’enregistrer un album pour l’obscur label Katema (6). Alarcen collabore à l’enregistrement du disque en tant que musicien de studio, mais il s’entend si bien avec les membres du groupe qu’il ira jusqu’à suivre Eden Rose en tournée. Et l’album « On The Way To Eden », produit par Richard Gachner, consacre effectivement une collaboration particulièrement fructueuse entre Alarcen et le claviériste Henri Garella, à travers de véritables duels menés tambours battants sur des thèmes instrumentaux dont certains n’ont pourtant rien d’exceptionnel, évoquant parfois des séquences d’illustration sonore un brin balucharde pour films hippie. Si le son d’Eden Rose rappelle Traffic, Vanilla Fudge ou le Deep Purple des débuts, sa musique se rapproche également du style de fusion rock / rythm & blues / jazz initiée en Angleterre par Colosseum ou Brian Auger, parfois traversée par des influences plus progressistes comme sur le très beau « Sad Dream »,  habile démarquage de Procol Harum, à la fois pour la guitare d’Alarcen qui rappelle fortement le style de Robin Trower, et pour le thème qui semble recycler à l’intérieur de la même composition « A Whiter Shade Of Pale » et « Repent Walpurgis » (7). Il n’en demeure pas moins que « On The Way To Eden » offre de très beaux moments de musique,  avec un Alarcen en pleine forme, chorusant d’un bout à l’autre du disque avec une virtuosité qui à l’époque n’a guère d’équivalent que du côté de la scène jazz-rock naissante, chez un John McLaughlin ou un Larry Coryell. Bien que plus anachronique, une comparaison avec Allan Holdsworth n'est cependant pas farfelue non plus. 

Après ces quelques concerts avec Eden Rose, Jean-Pierre Alarcen retrouve les musiciens du Système Crapoutchik pour réaliser les accompagnements de l’adaptation française de la comédie musicale « Hair » (8), qui leur vaudront les compliments de Danny Hurd, directeur musicale de la version originale, lequel louera leurs qualités d’improvisation et de retenue au service des vocalistes. A cette époque, Alarcen poursuit sa carrière de musicien de studio qui, si elle s’avère plutôt lucrative, n’en est pas moins totalement insatisfaisante sur les plans artistique et musical. C’est dans ce contexte qu’Alarcen va former le groupe Sandrose en 1971. 

Se souvenant de son expérience épanouissante avec Eden Rose, Jean-Pierre Alarcen retrouve donc le claviériste Henri Garella, le batteur Michel Jullien et le bassiste Christian Clairefond, auxquels se joint la chanteuse Rose Podwojny (repérée par Alarcen sur une maquette de William Sheller (9). C’est du prénom de cette dernière que vient d’ailleurs le nom Sandrose - dont il n’aura pas échappé aux plus fins exégètes parmi vous que celui-ci n’est d’ailleurs pas sans évoquer Eden Rose – trouvé par Merry Christopher, parolière américaine et auteur des textes du groupe. Sous la direction d’Alarcen, le répertoire de Sandrose prend forme très rapidement, et un projet d’enregistrement financé par deux producteurs, se concrétise avec la publication chez Polydor en avril 1972 de l’album « Sandrose », réalisé en une semaine au Studio Davout. Ce disque, considéré par beaucoup comme l’un des plus grands classiques du rock progressif symphonique international, fait la somme de remarquables qualités d’instrumentation, d’arrangements et de composition. Alarcen – qui n’a plus ici le rôle de simple musicien comme c’était le cas au sein d’Eden Rose – se taille la part du lion avec trois superbes compositions, « Vision », « To Take Him Away » et l’épique « Underground Session (Chorea) », tandis que dans la même veine, Garella propose le très beau « Never Good At Sayin’ Goodbye » et – un cran en-dessous – les instrumentaux « Metakara » et « Fraulein Kommen Sie Schlaffen Mit Mir ». L’album comporte aussi « Summer Is Yonder », une adaptation intéressante du thème de « Colchiques dans les Prés », et « Old Dom I Dead », remake de « Mea Culpa », un thème déjà enregistré en 1970 par Claude Puterflam et publié en simple sous le pseudonyme de Lenis Chorca (et sur lequel jouait d’ailleurs Alarcen). La musique de Sandrose, subtil équilibre de finesse et de puissance, est un bon révélateur de l’inspiration d’Alarcen, à savoir la synthèse avec le rock d’une sensibilité héritée de la musique classique et symphonique. Ce qui se traduit notamment par une utilisation intensive du mellotron, dont les sonorités caractéristiques sont sollicitées avec goût par Alarcen, en complément idéal de l’orgue Hammond, très présent, d’Henri Garella. L’autre élément spécifique du son de Sandrose, c’est la voix de Rose Podwojny, qui apporte une coloration évoquant d’autres « groupes à chanteuses » européens tels que Earth & Fire, Circus 2000 ou Analogy. Enfin, sur ces plages qui alternent, avec une incroyable science de la nuance, des passages aériens avec des séquences éruptives, la guitare d’Alarcen fait des merveilles, précise, racée et superbement inventive. Malgré le potentiel prometteur dévoilé par son album, Sandrose ne donnera que quelques rares concerts après la publication de celui-ci, lors desquels Garella sera remplacé par Georges Rodi. Après une semaine de concerts au Gibus fin novembre, début décembre 1972, le groupe se sépare en raison de divergences musicales et personnelles.

Alarcen se lance alors dans de nouveaux projets, rejoignant le batteur jazz Bernard Lubat, le groupe Nova ou encore le « supergroupe » Tartempion. Dans cette éphémère formation dirigée par Jerry Zipanar (alias Gérard Pisani, génial saxophoniste-flûtiste et âme du Martin Circus première manière), on retrouve également Michel Graillier et Marc Bertaux (issus de la Lubat Company), le claviériste Pierre-Jean Borowsky (lui aussi rescapé du Martin Circus Mk 1) et le batteur Donald Rieubon (ex-Problèmes et Labyrinthe entre autres). Alarcen participera uniquement à l’enregistrement du premier simple de Tartempion, avec notamment le fendard « La Peinture à l’Huile » (1973), dans la lignée de la pop déconnante et bien ficelée du Martin Circus des débuts. 

S’il est – on l’a vu avec Sandrose – un véritable compositeur avec une vision artistique bien unique, Jean-Pierre Alarcen est également un musicien qui sait se mettre au service du travail d’autres auteurs, qualité qu’il a développé notamment dans le cadre de son activité de guitariste de studio. On en voudra pour preuve sa participation remarquable à la trilogie de son ami Michel Zacha (rencontré sur les sessions de « Hair »), « Promesses d’Atlantide ». Sur les trois albums « La Nuit Des Cigales » (1972), « Icare » (1974) et « Inutile » (1976), Alarcen délivre quelques interventions d’une remarquable pertinence, notamment quelques chorus pas piqués des hannetons (« Le Vol d’Icare », « La Terre », « Vivez Vos Rêves »). Mais le talent d’Alarcen en matière d’accompagnement se retrouve également dans son travail sur les albums du regretté François Béranger, « Le Monde Bouge » (1974), « L’Alternative » (1975), « En Public » (1977) et « Participe Présent » (1978). Chanteur engagé typique de la mouvance post-mai 68, Béranger a publié au début des années 70 deux albums chez CBS dans lesquels ses compositions se sont retrouvées massacrées par des arrangements ultra-nazes (10) qui ne rendent pas justice à des textes souvent intéressants. Après avoir tenté un virage rock avec le groupe Electrogène sur l’album « La Chaise » (1974), Béranger trouve en Alarcen LE musicien qui saura faire de sa poésie un vrai langage rock, avec une identité musicale cohérente, entre folk-rock électrique et tentatives plus progressistes. Premier album de leur collaboration, « Le Monde Bouge » est une vraie réussite, grâce aux arrangements ultra-soignés d’Alarcen (« Elle Voyage », « Prisons ») qui rendent plus accessible le style de Béranger, retournant en avantage des handicaps certains comme une voix assez difficile et une diction plus proche d’Aristide Bruant que de Mick Jagger. Quant aux textes (11), ils se trouvent propulsés par l’accompagnement dynamique et inspiré délivré par Alarcen (guitares, mellotron), Gérard Cohen (basse), Michel Bonnet (batterie). La formule sera reconduite sur le disque suivant, « L’Alternative », sur lequel Alarcen se lancera dans un véritable tour de force de près de vingt minutes, « Paris-Lumière », folle composition-fresque qui met en musique les visions écorchées de Béranger (« Sous les ponts de Paris coule la Seine… Et la merde ! ») dans une veine franchement jazz-rock, assez convaincante. Le double album en public de Béranger, enregistré à Saint-Denis en 1977, illustre encore davantage le rôle crucial d’Alarcen auprès de Béranger. Le chanteur y reprend quelques compositions datant de l’époque CBS, lesquelles avaient été – de son propre aveu dans les notes de pochette – littéralement salopées par des orchestrations inappropriées et pour le moins à côté de la plaque. Les nouveaux arrangements de  titres comme « Natacha », « Une Ville » ou « Le Monument aux Oiseaux » offrent enfin aux textes de Béranger une dimension de sensibilité et de finesse inédite, une véritable valeur ajoutée, presque une seconde naissance. Personnellement, je suis moins convaincu par « Participe Présent », le dernier album de la collaboration Béranger / Alarcen, qui me semble un peu moins inspiré que les précédents et dont l’enregistrement et la couleur sonore ressassent la recette avec un surprenant manque de vigueur. N’en demeure pas moins que le reliftage de « Vous N’Aurez Pas Ma Fleur » (autre composition de l’époque CBS et sublime exercice de subversion tous azimuts) est plutôt bien envoyé, et que le très subtil « Derrières Ses Valises » a gardé toute son émouvante joliesse.

Il est d’autres disques sur lesquels la participation d’Alarcen se révèle être de tout premier ordre, et pourrait justifier à elle seule l’écoute et l’acquisition des dites galettes. Prenons par exemple le « Giant » de Janko Nilovic, paru en 1972 et sur lequel on retrouve d’ailleurs une relecture jazzy pour grand orchestre du « Underground Session (Chorea) » paru à l’origine sur Sandrose. Aux côtés de sidemen prestigieux tels André Ceccarelli à la cornemuse (12), Alarcen y décoche quelques flèches bien senties, avec un goût jamais pris en défaut. Autre exemple fameux, son extraordinaire chorus sur la reprise de « Eleanor Rigby » des Beatles, parue en 1971 sur l’album de Ilous et Decuyper (authentique chef d’œuvre de pop classieuse à la française, sur lequel joue d’ailleurs le Système Crapoutchik au grand complet), propulse le morceau vers des sommets d’intensité et de lyrisme inattendus. Bernard Ilous, pilier de l’écurie Flamophone, acolyte du Système Crapoutchik, sortira en 1975 un magnifique album solo (13) sur lequel Alarcen réalisera un véritable travail de magicien-coloriste, notamment sur « Chanson Chagrin », « Rondeau » ou « Les Yeux Fermés » (superbes nappes de mellotron). Dans les années 1980, outre quelques collaborations avec Renaud ou Louis Chédid, Alarcen montrera un intérêt certain pour d’autres domaines musicaux, notamment la musique africaine,  comme l’illustrent ses participations à l’enregistrement d’albums  de Toure Kunda (l’album « Toubab Bi » en 1986) et Geoffrey Oryema (« Beat The Border » en 1992 et « Night To Night » en 1993).

Enfin, une présentation de Jean-Pierre Alarcen ne saurait être complète sans évoquer ses réalisations en solo. Un premier album sous son nom est publié chez L’Escargot / Sibécar, enregistré « à la maison » (14) au début de l’année 1978, avec des musiciens particulièrement prestigieux, Claude Arini, Jean-Paul Asseline (ex-Rhésus 0 et Magma), Michel Zacha, Francis Lockwood, Jean-Lou Besson, Gérard Cohen et Serge Millerat (ces quatre derniers faisant eux aussi partie de la fine équipe des accompagnateurs de Béranger). Le disque – exclusivement instrumental - offre principalement une fusion jazz-rock progressive bon teint, avec un feeling latino évoquant parfois Carlos Santana et de légers accents zeuhl. Mais ce qui retient véritablement l’attention, ce sont deux thèmes enregistrés au Studio Davout, les ravissants « Mon Amour, Mon Amour » et « Vieux Garçon », interprétés par un ensemble de cordes (dirigé par Claude Arini) et qui confirment l’intérêt de Jean-Pierre Alarcen pour le domaine de la musique classique (avec les influences particulièrement marquantes de compositeurs tels que Malher, Faure ou Debussy). Cette inspiration néo-classique prend toute sa dimension sur le deuxième album d’Alarcen, « Tableau n° 1 », enregistré en août 1979 au studio Marcadet (Paris), mixé au Studio Family Sound et paru sur le label Scopuzzle. Cette œuvre, qui s’articule autour de trois mouvements dans une construction symphonique, reprend quelques-uns des principes inaugurés chez Sandrose, à savoir un sens extrême de la nuance dans les alternances entre passages calmes et thèmes plus dynamiques. Cet effet se retrouve également jusque dans le mixage, où les variations de niveau sonore rendent une écoute au casque du pressage vinyle d’origine absolument passionnante (15). Les arrangements sont d’une justesse sidérante, à la fois riches et mesurés, dominés principalement par les claviers (orgue, piano et Solina) que se partagent Alarcen et Daniel Goyone. Majestueuse et virtuose, la guitare d’Alarcen ne sonne plus de façon empesée comme sur « Participe Présent » ou quelques passages du premier opus solo, elle évoque au contraire davantage les sonorités incisives d’un Steve Hackett. Enfin, si le passage jazz-rock des trois dernières minutes du premier mouvement n’a pas spécialement bien vieilli, le thème d’ouverture (réexposé au troisième tiers du dernier mouvement) est tout bonnement sublime, tout comme certaines séquences atmosphériques quasi-impressionnistes. Suite logique – quoique réalisée près de vingt ans plus tard – « Tableau n° 2 » (publié par Muséa en 1998) éloignera encore plus Alarcen du domaine rock, puisqu’il s’agit pour le coup d’une œuvre classique à part entière, sur laquelle n’apparaît aucun instrument électrique. La réalisation de l’album bénéficie des libertés offertes par les technologies numériques appliquées au studio, puisque les orchestrations ont été assemblées par Alarcen de façon virtuelle à partir d’enregistrements de musiciens captés séparément. Réalisé avec la participation de Michel Zacha et du pianiste Fabrice Garniron, « Tableau n° 2 » place Jean-Pierre Alarcen encore un peu plus en marge de la production musicale française, en même temps qu’il assoit sa crédibilité d’artiste-compositeur de façon toujours plus indiscutable.

Suggestions d’écoutes : tous les albums cités ci-dessus valent le détour, de même que tout ce qui a trait de près ou de loin à la connexion Système Crapoutchik (« Aussi Loin Que Je Me Souvienne », « Flop », « Ilous & Decuyper », « Ilous », etc…) On peut même retrouver sur le premier volume de l’intégrale d’Alain Chamfort les enregistrements historiques des Mod’s, ainsi que les premiers singles de Alain Legovic solo, coréalisés avec Alarcen). Si les albums solo de JPA se trouvent toujours via Muséa (tout comme les opus de Eden Rose et Sandrose) et les albums de Béranger (récemment réédités de façon plutôt correcte) chez Futur Acoustic, c’est tout de suite plus coton de mettre la main sur la trilogie de Michel Zacha (« La Nuit des Cigales », « Icare », « Inutile ») ou les disques de Janko Nilovic. Enjoy !

1. Extrait de l’autobiographie de François Béranger, disponible sur le blog du myspace officiel du chanteur, ou dans le livret du sompteux coffret longbox "Le vrai changement c'est quand ?"
 2. Alors que pourtant c’est super simple.
 3. Il n’y avait qu’à se baisser : Hallyday, Dick Rivers, Clo-clo, Monty, Richard Anthony, Adamo, Frank Alamo, Sheila, pour n’en citer que quelques-uns avant de rendre son quatre heures…
 4. Je sais c’est mesquin et réducteur mais c’est la triste vérité.
 5. Surtout lorsqu’on sait qu’à l’époque, le hit-parade de notre jolie Gaule se trouve parfois surmonté par des choses aussi abjectes que « Le Sirop Typhon » du non-moins abject Richard Anthony.
 6. Ce disque deviendra d’ailleurs un collector très recherché, figurant même parmi le classement des 100 disques les plus rares, établi par le magazine Jukebox.
 7. Extraits du premier LP de Procol Harum.
 8. De l’anglais « hair » = cheveu.
 9. Pour l’anecdote, Rose Podwojny deviendra quelques années plus tard Rose Laurens et connaîtra un important succès commercial en se commettant dans une variété particulièrement sordide.
 10. Pour rester poli, quoique les accompagnements du groupe Mormos sur le second (« Ça Doit Être Bien ») ne soient pas totalement inintéressants.
 11. Dont certains, c’est très certainement un hasard, ne sont pas sans retrouver une certaine actualité : « Je vis dans un pays, et c’est aussi le vôtre / Où un gamin perdu à Fleury-Mérogis / Pour un vol de bagnole se fait serrer la vis / On la lui serre tellement la vis qu’un jour il n’en peut plus / Un jour la coupe est pleine et on le retrouve pendu / Mon dieu quel beau pays, mon dieu quel beau pays » (« Prisons ») ou « Ils nous disent les censeurs / Que les grèves ne sont que rêves / Les grévistes des rêveurs / Vivant quelques heures brèves / Que les vieilles réalités sauront bientôt les briser / Mais vous tout là-haut, dans vos bastions / A opprimer cités et nations / Vous connaîtrez un jour l’heure où les rêveurs, où les rêveurs / Viendront pour vous demander raison de l’oppression / Ne voyez-vous pas qu’il est trop tard, oui bien trop tard / Que le monde se fera sans vous, ou contre vous » (« Le Monde Bouge »).
12. Non ! A la batterie, pas à la cornemuse, c’était juste pour voir si vous suiviez.
13. Simplement titré « Ilous », absolument sublime de part en part, et dont on dit qu’il devrait être prochainement réédité en CD, ce qui constituerait une excellente nouvelle. Si l’industrie du disque trouve encore le culot de couler après çà…
14. C’est-à-dire chez Jean-Pierre Alarcen même, à Flagy, dans la Seine-et-Marne.
15. La réédition en CD de 2002 chez Muséa propose un nouveau mixage – réalisé par Alarcen lui-même – avec un rehaussement du niveau sonore, ce qui n’est pas sans altérer cet effet d’amplitude.

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